Je regarde par le hublot: des forêts à perte de vue...
De la neige aussi. Des milliers d'épineux enneigés. Éparpillés dans cet immensité de blanc et de vert sombre, quelques tâches sombres complètent le tableau. Des lacs. D'un calme absolu, tout comme le vol, suspendu dans les airs, on a l'impression que le temps s'est arrêté. Pas une âme qui vive.
Et puis l'avion décide d'amorcer sa descente, le commandant vient de faire une annonce. Les forêts persistent mais on distingue également des premières montagnes. On se demande où l'on va atterrir. Une piste doit surgir de nulle part au milieu de cette neige, ces sapins et ces rochers couverts de glace.
Pourtant au bout d'une demi-heure, les roues touchent le sol, on atterri sur de la neige. Nous voilà, Kiruna.
Descente de l'avion, on s'extasie sur la piste blanche, on regarde autour de nous, il fait déjà nuit et l'horloge indique 15h36...
On est arrivé dans un autre monde, celui de la Nuit et nous allons traquer ces plus beaux trésors, à Abisko...
Laponie, Janvier 2015
Les trésors des nuits polaires
Le froid
Un autre monde couvert de glace et de neige. Alors la température qui va avec ne permet pas de se promener avec une simple veste. On a vu le mercure atteindre les moins trente degrés... Des fumeurs qui étaient avec nous dans l'auberge de jeunesse ont testé la durée maximale des mains nues en plein froid, le temps de finir leur clope. Ils ont quasiment arrêté de fumer... Apparemment on pouvait tenir quelques minutes avant que les sensations de froid soient plus fortes que la nicotine.
Alors tous les matins, le même rituel pour aller profiter de la nature environnante, après le petit déj, on se lance dans l'équipement, les gestes sont maîtrisés au bout de quelques jours. Une demi-heure pour se préparer. Des successions de couches pour se protéger du froid, deux paires de gants, idem pour les chaussettes, bonnet, capuche, cache-cou, Moon Boots, et c'est parti, vite avant de mourir de chaud à l'intérieur de l'auberge. Tels des cosmonautes, on sort heureux et on progresse lentement dans la glace, on plane un peu, on glisse doucement. Il ne manque que les sauts de géant pour se croire sur la Lune... On se regarde et déjà les cils et la barbe sont couverts de givre et les joues, ultimes surfaces de peau à l'air libre, se tend avec l'air sec et froid. On est parti pour quelques heures d'exploration, on ira pas bien loin, mais un lac à proximité d'Abisko nous permet de jouer autour de quelques bateaux posés sur la neige, des pontons pris dans les glaces du lac, et des cabanes de pécheurs avec leur mur de bois rouge vif et leur toit noir, une belle image typique des habitations scandinaves. Et soudain le lac veut nous parler, alors il se met à gronder. Profondément. On n'ose plus vraiment s'aventurer sur sa surface, et pendant des heures on entendra ces mouvements de glace invisible mais ô combien impressionnant. Pas d'autre bruit. Tout autour du lac, des petites montagnes nous encercle de leur silence. On aperçoit au fond du paysage deux falaises rocheuse laissant passer un couloir vers l'infinie Laponie: Lapporten.
Après un déjeuner au chaud, une promenade à ski le long d'une piste éclairée par des réverbères, le jour se couche à défaut du soleil. On est arrivé à un point géographique où en Janvier, le soleil ne dépasse jamais des montagnes, et notre jour se constitue d'un ciel clair variant entre le rose, le pourpre, toutes les teintes violettes imaginables et quelques nuances de bleu clair, parfois de turquoise. Le tout en de léger tons pastels. D'une beauté a coupé le souffle si le froid ne s'en était pas déjà chargé.
Les joies de la journée se limiteront à quelques heures.
La nuit revient alors chargé de son lot de mystère et de magie...
Pendant que nous patientons à la fenêtre, un café pour réchauffer nos mains, le temps que le sauna se mette en route, on entend passer le long train chargé de minerais récupérés à Kiruna, en direction du port de Narvik. Un train qui devient le seul rythme sur place, une sorte d'horloge pour guider les Hommes dans l'interminable nuit polaire...
Plus rien de visible.
Juste des bruits.
Craquement de glace au milieu du lac.
Silence.
Nouveau craquement... et le sol qui vibre.
C'est régulier... tchacatchac tchacatchac tchacatchac tchacatchac... Une sirène traverse le ciel et deux yeux jaunes perforent à toute vitesse le décors et filent vers l'horizon... tchacatchac tchacatchac tchacatchac tchacatchac...
Nouveau craquement...
Une théière siffle, quelques pas, quelques échanges de mots dans une langue inconnue. Les tasses s'entrechoquent, l'eau se déverse dans les récipients. Les pas repartent en frottant le lino...
Je regarde le ciel mais toujours rien.
J'active mon téléphone, la lumière m'éblouit complètement, mais j'ai le temps de voir l'heure. Alors dans un mouvement lent, je me lève, avec quelques bruits feutrés, je me change, je me prépare et je vais doucement réveiller Elise de sa sieste.
C'est l'heure du sauna.
Les bruits montent, quelques personnes se préparent également, et puis la lumière revient, celle du couloir, on sort dans le froid terrible, des lanternes pour nous guider dans ce jardin blanc, les reflets de lumières dansent avec le vents dans un mélange d'ocre jaune, d'or et de diamant, la neige scintille de mille feu contrastant avec le noir profond de la nuit tout autour.
Vie.
Tout s'accélère, et le sauna se rempli des jeunes de l'auberge, les discussion démarrent dans cette ambiance chaleureuse à 90°...
Rencontres.
Partager le monde avec le monde dans sa plus simple apparence: à poil.
Des paris sont lancés. On sort pour se jeter dans la neige. On discute pour récupérer de la chaleur sur la terrasse. Ambiance chaleureuse à -30°. Toujours à poil. On retourne au sauna pour se réchauffer. La boucle est bouclée. Et ce moment sacré, divin, ne dure qu'une heure. Il ne faut pas la rater. Le rendez-vous humain du périple.
On a donc rencontré des gens super dans ce sauna. On s'est connu à poil donc. Et c'est amusant de se rendre compte qu'on ne s'est pas reconnu habillé quelques heures plus tard (parce que tout le monde à la même combinaison) et encore moins à Paris quelques mois plus tard parce qu'on avait des habits de citadin qui nous a attribué une classe malgré soi... Marrant.
Vraiment, connaître les gens sans vêtement nous retire tout jugement de valeur. A part physique bien entendu...
Repas du soir, au menu: rennes surgelé. On a du merdé la cuisson. Ou bien les gars avant nous ont cuisiné du poisson parce que je ne pense pas que le renne a un goôt de poisson. On s'est rattrapé sur les tubes de "mayo" goût roquefort, crevette ou encore salami... invention purement suédoise...
21h.
On se prépare pour sortir. Tout est vérifié, les batteries pleines, le trépied opérationnel. On sort.
Direction une petite plaine sur la colline, on a une belle vue sur Abisko, sur le lac et les montagnes environnantes... on installe notre matos, il y a très vite quelques trépieds dans le champ, on ne sent pas encore le froid, on est concentré. On a plus qu'a attendre que la magie opère... le froid se fait sentir d'un coup. La danse du pingouin nous maintient un peu à bonne température... Mais ça ne va pas suffir... Il faut que la magie opère!
Alors vers 22h30, le ciel a décidé qu'il était temps.
De l'horizon, on a aperçu une fine bande vert pâle... On est déjà content... mais ce n'était que le début, la fine bande avance d'un coup et sorti de nulle part, de toute part, de derrière les montagnes environnantes des milliers de particules vertes se sont mis a danser et tournoyer au dessus de nos têtes, traversant le ciel, choisissant une direction, puis une autre, des magnifiques ondes oscillantes et changeant par moment de teinte verdoyante... Et quand on pensait le spectacle fini, une autre aurore arrivait de plus belle, pour finir par centaines, la nuit avait cessée, il n'y avait que lumière. La neige captait tous les rayons lumineux et les renvoyait dans toutes les directions pour amplifier le jeux des lumières. Et nous au milieu de tout ça, le sourire jusqu'aux oreilles. Pas un bruit. Un spectacle tellement intense tellement dynamique et pas un bruit. C'est magique. la magie opère... on entend quelques "hoooo", "regarde!", "la-bas", "encore une ici!" qui sont étouffés par la neige. Surréaliste.
Minuit arrive et comme par enchantement les ondes se sont toutes éteintes, volatilisées avant de ne se transformer en citrouille...
Peut-être la plus belle chose vue sur Terre. Et comme je ne suis pas encore allé ailleurs que sur Terre...