La mer au bout d'une rue, des façades à l’abandon. D'un coin de rue, une carcasse de voiture des années 50 se traîne dans un long râle, mais elle roule toujours, comme au premier jour. Un écriteau posé sur le tableau de bord annonce le taxi. Son chauffeur, un bras par la fenêtre fume un bout de cigare. Tout les clichés ou du moins l'univers que l'on peut imaginer est présent. Il est bien vivant. Et malgré l'esthétisme des années passées, la Havane et toute l'île souffre également au quotidien. La souffrance d'une révolution utopique qu'on aura jamais véritablement laissé fonctionner...
Cuba, Février-Mars 2017
Une terre de révolutions
Atterrissage
La première fois que je découvris l'île de Cuba, ce fut depuis l'avion, 8 h environ de vol dans les pattes, et malgré la nuit, on voyait apparaître un bout de terre à travers l'hublot. Un petit bout de terre ayant quelques faibles lueurs pour seul éclairage. On allait atterrir dans un tout autre monde, quelque chose que l'on a jamais vécu, ni imaginé, comme ce genre de détail... pas de lumière le soir... Déjà l'île en disait long sur son identité et son histoire, coupée du monde depuis des décennies. Même si les touristes arrivent en masse, il reste encore quelque chose de fort de cette politique qui a isolé tout un peuple du reste du monde. Alors je regarde longuement les douces lueurs de l'île parsemée, délicates, comme de petits éclats de pierres précieuses au milieu des ténèbres de la nuit. Quelque chose de chaleureux et rassurant.
Découverte
Petit déj complet : fruits exotiques, café sucré, œufs fris et quelques tartines beurre confiture, un saut à la chambre afin de s’équiper pour la journée. Toujours le même reflexe, j’opte pour un 35mm, sélection de filtre UV, verre polarisé, lunette noire pour mon regard à travers la fenêtre… un instant d’observation, j’attends sans attendre.
J’emballe le reste du matériel dans un sac que je jette sur mon épaule. On sort dans la rue, on retrouve la vie cubaine, forte en bruit, ça grouille dans tout les sens, il n’est que neuf heures du matin, la température est déjà monté à plus de 25°. On s’engouffre dans le dédale des rues, dans une direction approximative vers l’Est. Mon regard se perd dans cette vie si différente, je parcours ainsi chaque rue, chaque recoin, comme si je recherchais quelque chose mais je ne sais pas quoi exactement. Je me nourris avidement du spectacle nouveau, de toutes les curiosités que je pourrais croiser, des choses de la vie pour moi si différentes et pourtant si communes pour eux.
En croisant des nouvelles rues, des regards se croisent, quelques secondes pas plus, quelque chose commence à se dégager, je me sens lentement aspirer par leur attitude, l’architecture coloniale décrépit se dressant autour d’eux ajoute quelque chose d’impossible au tableau. Je sors l’appareil photo, comme pris d’un besoin d’immortaliser la scène, une envie de garder une image de cet instant. Composition, mise au point, décalage, déclenchement : cruellement, le clic clac vient de tout figer.
La Havane, le 20 février 2017.
Un air de musique pour une île
Un vieux fourneau vient nous ouvrir la porte, il tangue un peu sur le coté et fait glisser son pied gauche sur le sol quand il marche. Son sourire est rayonnant et son œil pétille quand il nous accueil, on sent immédiatement que c’est sincère. Il est fier de faire découvrir sa maison, avec ces hauts plafonds en bois et les myriades de bibelots improbables, vestige d’une longue existence. Il nous emmène à l’arrière de la maison qui s’ouvre sur un patio à ciel ouvert, et nous montre notre chambre. Impeccable, tout y est : une poupée à droite, le frigo à gauche et surtout la couverture rose bonbon sur le lit. On sourit, et on le remercie chaleureusement, il prend congé en nous expliquant que c’est son fils qui gère les habitations. Il s’en va de son coté, une pièce attenante à la notre et on l’entend s’occuper dans son coin pendant qu’on pose nos sac à dos. Devant la chambre, deux rocking chairs nous attendent pour prendre le temps, plus haut chez les voisins de notre hôte, on voit nos trois compagnons de route qui découvrent leur chambre sur une belle terrasse. Le soleil tape doucement, et je décide de prendre le temps.
Avec les roulements de mon rocking chair, j’écoute la ville d’une oreille distraite, un guide à la main. Un bruit de radio s’enclenche depuis une pièce de la maison, et grésille pendant que notre petit vieux cherche sa station. Il s’arrête sur un morceau de jazz. C’est la première fois que j’entends le choix musical d’un cubain et je peux enfin vérifier les dire du guide touristique, à savoir si la musique est essentielle pour eux. La rumeur de la radio commente en cubain le morceau de jazz, et propose autre chose : l’emblématique « chan chan » crépitant en live et un peu usé par le temps. Pour une fois qu’il est écouté par quelqu’un d’autre qu’un touriste en échange de quelques pesos, comme si l’on voulait résumer l’essence d’une nation en un seul morceau.
C’est pour moi la meilleure version entendue pendant notre périple, peut-être parce qu’elle ne m’était pas destinée particulièrement et que je volais un peu son écoute. Alors je profite pleinement de cet instant…
Quelques nuages défilent dans le ciel, la chaleur s’atténue et le soleil couchant commence à faire briller les murs et les tuiles de la ville. La rue projette ces clameurs des passants et de quelques ronronnements de voitures. « Chan Chan » entame tranquillement son dernier couplet.
Bienvenue à Trinidad…
En attendant la nuit...
Je me retrouve alors sur cette pente douce qui nous emmène vers une antenne surplombant la ville. On est passé rapidement devant un quartier plus populaire, on nous a regardé en tentant de lancer une conversation et si possible obtenir un ou plusieurs CUC tant convoités. Ce quartier, seulement deux bornes en pierre le séparent d’un autre monde ; deux cuba cohabitent, le premier pour prendre soin des touristes, pour ne pas les effrayer, pour leur montrer l’unique beauté du centre de Trinidad. Le reste ne mériterait pas qu’on s’y attarde selon le quadrillage officiel, mais pourtant il s’agit bien de Trinidad au-delà de ces deux bornes. Certes délaissé mais bien réel. Seulement, la misère ne fait pas partie du patrimoine mondial de l’humanité.
Je me retrouve sur cette pente douce, on arrive vers l’antenne surplombant la ville, le soleil se couche doucement sur la mer des caraïbes. On a retrouvé des touristes venus admirer le spectacle du soleil éclatant ces derniers rayons lumineux sur les montagnes nous encerclant. Le long du chemin de fer, un mince tracé métallique remontant la vallée De Los Ingenerios, la nature s’enveloppe petit à petit d’un manteau rougeoyant sur leur myriade de nuances de verts. Les couleurs explosent et se fusionnent, puis avec l’arrivée de la nuit petit à petit tirent vers de doux pastel en se confondant avec celles des montagnes plus au fond. Les brumes remontent, de la fumée s’échappe d’un feu au pied de quelques palmiers. Et puis le silence.
Comme pour nous rappeler à notre monde, un gars se rapproche d’une nana qui prenait quelques photos, il lui dit qu’il est photographe, qu’il peut l’aider, la fille accepte, et la scène si poétique se transforme et devient ironique. Le soleil, les couleurs, ce mec torse nu en train de se contorsionner et de guider la fille pour la prendre en photo dans ce fameux tableau. Un cliché que je n’ai pas hésité à saisir à mon tour.