Tout a commencé ici, sur ce bout de terre couvert de sel. Des longs trains attendaient le départ, sans rail pour les guider, sans machinistes pour les alimenter. Pourtant je suis monté à bord comme bien d'autres pour le jeu, pour imaginer une seconde qu’un de ces trains pourrait repartir.
Et puis je ne sais comment, la magie a opéré, je me suis laissé entraîner. Le train est parti et m’a emporté vers le reste du monde…
Julien Le Bourhis
Sortie du taf, la pluie est plus forte maintenant. La nuit est déjà tombée depuis plusieurs heures, les réverbères et leurs lueurs oranges ont pris le relais pour éclairer la ville. Le bus 72 passe et s’arrête pas très loin. L’occasion de monter pour se mettre directement à l’abri.
Le moteur râle un peu fort pour repartir. Il y a des places libres, surtout celles avec le radiateur sous le siège, au niveau des mollets. La chaleur est agréable, et soudain tout se détend.
La tête contre la vitre comme pour vider mon esprit vers l’extérieur…
... les secousses se font plus fortes, et derrière le virage les sommets du Spitzkoppe apparaissent, majestueux, éternels. Le soleil brille de ses derniers rayons, peignant le piton rocheux et les Pontoks d’un rouge écarlate. Le regard se tourne vers le soleil…
... les phares d’une voiture passent sur mon visage puis s’en vont ailleurs. Le bus arrive au niveau d’un arrêt. Les portes s’ouvrent pour laisser la vie extérieure envahir le bus, le vent glacial arrive à s’introduire sous les vêtements…
... je remonte le col de ma veste jusque sous mon nez pour éviter que l’air traverse mon cou. Je fixe la lanière de l’appareil dans ma main droite, avec une mauvaise vague tout pourrait passer par-dessus bord. Je lève la tête malgré les embruns pour me retrouver nez à nez avec 60 mètres de falaise gelée sur des centaines de mètres de largeur. Comme si le glacier était vivant, il décide de détacher une partie de son corps et la faire effondrer dans l’eau pour mieux nous tenir à distance. Les présentations sont faîtes, je retourne à l'abri de la cabine…
... la porte se referme, le bus repart aussitôt, dehors quelques néons clignotent pour attirer l’œil, pour dire viens, regardes moi, laisses-toi absorber par la magie des couleurs…
... la pluie ne cesse de tomber mais on décide de continuer notre chemin à travers
la foule, prochaine rue à droite, la foule se resserre, il y a une sensation bizarre entre la pluie, l’humidité, la fraicheur du ciel et cette foule qui dégage une chaleur par le bas. Je suis presque sûr que le sol est sec. On se croirait dans un ciré breton ou un vieux k-way.
On continue à suivre les néons et on arrive enfin à Dōtonbori : il fait comme en plein jour, la lumière y est tellement forte qu’on voit chaque goutte de pluie tomber devant les écrans géants publicitaires et les symboles japonnais. Paradoxalement on ressent une certaine tendresse. La rue est floutée. Et puis on a une impression que le monde est là. Un concentré de néons et d’écrans dans si peu de mètres carrés, les immeubles montent à l’infini et se perdent dans l’obscurité de la nuit. Le bruit est incessant et pourtant on se sent dans une bulle. C’est illusoire…
... l’arrêt est surement dépassé maintenant, je me laisse bercer, après tout, le voyage apporte un certain réconfort. Quelqu'un a pris de quoi manger à emporter, des odeurs d'ailleurs arrivent aux narines, je ferme les yeux...
...je ne sais plus où je suis, dans un warung ou une roulotte, au bord de la route, assis à même le sol. La vie s'active même si la nuit est tombée depuis quelques heures. L'odeur du port à proximité se mêle aux cuisines, une sirène de cargo retenti au loin, c'est l'heure...
... la sirène du terminus sonne à nouveau, mais je reste assis. J'attend le nouveau départ.
Partir pour revenir.